Numéro 5, janvier 2021

Publiée: 2021-01-29

Stéphanie Fleck, Luc Massou

Les systèmes éducatifs, de l'école à l'université, sont confrontés à un contexte de profonds changements qui transforment les pratiques d'enseignement et l'apprentissage formel. Avec l'ambition de permettre aux apprenants d'apprendre, de faire, d'être et de décider individuellement et collectivement, dans un monde complexe en perpétuel mouvement, les institutions encouragent la mise en œuvre d'approches collaboratives. Au cœur de ces enjeux, les technologies numériques voient également leur diversité s'accroître rapidement. Les interfaces de nouvelle génération, telles que les interfaces tangibles, de réalité mixte ou robotiques, modifient les interactions avec les autres et les connaissances en offrant des paradigmes d'interaction Homme-machine différents de ceux offerts par les interfaces écran-clavier-souris. L'objectif de ce cinquième numéro thématique, délibérément interdisciplinaire, est de s'interroger sur l'impact et la place des technologies numériques - y compris celles de nouvelle génération - pour l'apprentissage collaboratif. Les interactions avec le savoir, avec les autres au sein des communautés d'apprentissage ou d'enseignement, les systèmes numériques eux-mêmes sont tour à tour au centre des problématiques des auteurs de ce numéro. Leurs douze contributions, par des approches complémentaires, enrichissent le corpus de connaissances empiriques et méthodologiques. Ils examinent les approches collaboratives entre enseignants, l'engagement à collaborer entre apprenants en présentiel ou à distance, la construction de l'apprentissage qui en résulte, et l'influence des systèmes sur ces derniers. Cela permet d’identifier plusieurs pistes à approfondir dans les travaux à mener sur cette thématique des nouvelles interfaces et interactions numériques pour l’apprentissage collaboratif.

Françsois Lewis, Patrick Plante, Daniel Lemire

Depuis quelques années, beaucoup de nouveautés technologiques ont fait leur apparition en éducation. Deux de ces technologies, la réalité virtuelle et la réalité augmentée, nous intéressent plus particulièrement. La réalité virtuelle permet, notamment à l’aide d’un casque, de s’immerger totalement dans un univers entièrement conçu avec des objets irréels et numériques tandis que la réalité augmentée permet, avec des lunettes ou un mobile, d’ajouter des éléments numériques à la réalité, notamment par superposition (Wang, Callaghan, Bernhardt, White et Peña-Rios, 2018). Cet article est le résultat d’une revue de littérature portant sur le domaine de la réalité virtuelle et augmentée en éducation. L’article a pour objectifs, dans un premier temps, d’approfondir nos connaissances du domaine afin d’apporter des éléments de réponse à la question de la pertinence et de l’efficacité de ce type d’artefacts en éducation, et dans un deuxième temps, d’identifier des principes qui peuvent guider la conception d’artefacts éducatifs en réalité virtuelle et augmentée. La méthodologie de la revue de littérature est basée sur la méthode EPPI (Evidence for Policy and Practice Information and Co-ordinating). Les résultats seront présentés par thèmes tels que la motivation, l’immersion, la collaboration et la conception.

Emmanuel Brandl

La mise en place d’un projet d’innovation pédagogique par le numérique porté par le Service Commun de la documentation (SCD) d’une Université (désignée « LR » dans l’enquête), a été l’occasion de mener une enquête exploratoire sur les conditions de mise en place de collaborations interprofessionnelles entre enseignants-chercheurs (EC) et bibliothécaires. Notre question de départ consistait à se demander pourquoi des EC réputés très occupés étaient en capacité de s’investir dans un projet collaboratif par définition incertain et chronophage. Nous avons émis l’hypothèse qu’il fallait reconstituer les schèmes de perception et d’appréciation (Bourdieu, 1992) de leur métier d’enseignant-chercheur, car ils sont au principe de la logique de leurs investissements professionnels. Hypothèse heuristique : si l’investissement des EC dans la collaboration prend sens, c’est parce qu’ils partagent un même « ethos professionnel » (Fusulier, 2011) qui les porte à déployer des stratégies professionnelles collaboratives. La présentation des résultats revient d’abord sur les conditions socioprofessionnelles de production de ces schèmes et de cet ethos, avant d’en décrire le contenu et la corrélation que l’on établit entre ethos et collaboration interprofessionnelle.

Charlotte Baraudon, Jean-Baptiste Lanfranchi, J. M. Christian Bastien, Stéphanie Fleck

Le numérique ne cesse de se développer, notamment à l’école où les politiques éducatives en ont fait un des leviers de recherche prioritaires. Une utilisation efficace des technologies numériques éducatives est essentielle pour que les élèves puissent atteindre des objectifs d’apprentissages. Ainsi, il est important de pouvoir recueillir les perceptions des principaux utilisateurs que sont les enseignants et les élèves sur l’utilisabilité de ces nouvelles technologies en classe. Or, à notre connaissance, il n'existe pas encore de questionnaire d'évaluation de l'utilisabilité des interfaces numériques en français spécifiquement adapté aux jeunes élèves. K-Uses est une échelle de mesure d'évaluation de la perception de l'utilisabilité par les jeunes utilisateurs. Cette échelle de mesure repose sur le modèle présenté dans la norme ISO 9241-11 à laquelle nous avons ajouté le critère de « learnability » de Nielsen. Cet article présente la construction et les premiers éléments de validation du K-Uses avec des enfants âgés de 9 à 11 ans. La méthode utilisée a consisté en un examen de questionnaires d'utilisabilité existants, des prétests auprès d’enseignants et d’élèves auxquels ont participé trois évaluateurs et une analyse exploratoire des données recueillies auprès de 127 élèves. Les résultats sont prometteurs et montrent des niveaux satisfaisants de validité et de fiabilité.

Mónica Fierro Porto, Lily Schofield

Cet article présente le fonctionnement d’un premier dispositif de formation d’anglais en ligne sur la plateforme Moodle, intégrant les pratiques informelles des étudiants, à l’Université de Paris. Le choix d’utiliser des extraits de films dont l’intrigue est située dans le milieu professionnel financier (FASP) comme support pédagogique principal est à la fois adapté au public (première année de licence d'Économie-Gestion), et à l’intégration des pratiques informelles étudiantes en anglais au contexte formel du cours. Ainsi, par cette familiarité avec le contenu, les thématiques et les modalités d’interactions asynchrones en ligne, les étudiants deviennent apprenants experts et le format numérique favorise alors de nouvelles interactions. Nos résultats proviennent des données recueillies auprès des étudiants concernant leurs ressentis sur le dispositif et sur leur apprentissage.

Stéphanie Marty, Katia Vasquez

Dans la présente contribution, nous étudions un dispositif d’aide à la réussite, impulsé par la loi ORE (Orientation et Réussite des Étudiants) et centré sur la réussite et l’intégration des étudiants en première année de Licence. Nous initions une réflexion sur ce dispositif et - plus largement - sur les dispositifs pédagogiques, en engageant un dialogue alimenté par nos parcours et statuts respectifs de Maître de Conférences et d’Ingénieure Pédagogique. A travers une approche ethnographique, prenant appui sur des matériaux de terrain (storyboards pédagogiques, journal de bord des séances, comptes rendus des réunions pédagogiques et des séances), nous esquissons l'écosystème de ce dispositif, ancré dans la conduite de projet agile, l’apprentissage collaboratif et l’hybridation. Enfin, nous pointons la fécondité de ces pistes, susceptibles d’être inspirantes, pour d’autres situations d’apprentissage, d’autres dispositifs pédagogiques, d’autres disciplines, voire d’autres types d’établissements.

Georges Ferone, Jacques Crinon

Les réseaux connectés d’enseignants se sont fortement développés ces dernières années et ils se définissent aujourd’hui comme contribuant à la formation et du développement professionnel de leurs membres. Leurs effets diffèrent toutefois fortement selon le type de collectif et selon les individus. Cette étude concerne le réseau Twictée qui regroupe plusieurs centaines d’enseignants francophones de l’élémentaire et du collège mettant en œuvre un dispositif innovant d’enseignement de l’orthographe et échangeant à distance sur cet enseignement. L’analyse porte sur des entretiens menés avec dix-neuf enseignants sur deux années scolaires. Elle montre que le réseau Twictée peut être défini comme une communauté d’apprentissage professionnelle et elle met en évidence quatre profils de participants selon la nature et l’intensité de leur engagement. Les dynamiques de changement, quand elles existent, touchent surtout aux modes d’organisation pédagogique et à l’intégration du numérique dans les pratiques d’enseignement. Des changements identitaires se produisent chez les acteurs les plus engagés de la communauté.

Luc Massou, Jean-Baptiste Lanfranchi, Brian Chauvel, Stéphanie Fleck

Dans le cadre du projet e-TAC Environnements Tangibles et Augmentés pour l'Apprentissage Collaboratif, une enquête par questionnaire a été menée en ligne auprès d’enseignants de cycles 3 et 4 de Moselle (France) pour mieux décrire leurs pratiques de travail collectif entre pairs et en classe, avec ou sans numérique. Au travers de l’analyse des 972 réponses obtenues, nous traiterons deux questions principales : quelles sont les catégories de pratiques déclarées par les enseignants et la place qu’y occupent les outils et ressources numériques? De quoi dépend la fréquence du travail en groupe de leurs élèves à l’école et au collège? Nos traitements statistiques sur les données relatives aux pratiques des professeurs des écoles et des enseignants de collèges permettent, d’une part, d’identifier quatre catégories de variables associées aux pratiques de travail collectif chez les enseignants, qui s’agrègent selon deux axes paradigmatiques (enseignant/apprenant, autocentré/hétérocentré), et d’autre part, d’étudier la force de prédiction de six catégories de variables du travail en groupe avec leurs élèves, où l’impact des usages d’outils et ressources numériques s’avère finalement très secondaire.

Abdessamad Redouani

Dans un contexte marqué par l’implantation des technologies éducatives dans les établissements scolaires en France et notamment l’équipement des écoles élémentaires par des Tableaux Blancs Interactifs (TBI), l’objectif de ce travail de recherche est d’étudier l’effet de l’usage pédagogique de ce dispositif sur les pratiques enseignantes à l’école élémentaire. Ce sont sept enseignants, dans trois écoles élémentaires publiques de Strasbourg, qui ont fait l’objet d’un suivi et d’une étude pour cette recherche. Deux instruments de collecte de données ont été utilisés : des entretiens semi-directifs individuels et des observations directes en classe. Les résultats montrent que l’usage du TBI induit des transformations dans les pratiques pédagogiques des professeurs des écoles. Ces résultats montrent également que le TBI n’est pas utilisé à son plein potentiel et qu’une mise en place des formations spécifiques est perçue par les enseignants comme étant un facteur favorisant l’exploitation de toutes les fonctionnalités du TBI.

Nicolas Szilas, Kim Le

Cet article expose la transposition en modalité à distance d’une activité de prototypage papier pour la conception de jeux vidéo se déroulant initialement en présentiel dans le cadre d’un cursus hybride. Le passage dans l’urgence au format numérique de cette activité nous a amenés à médiatiser la collaboration tangible et présentielle vers la modalité distancielle, sans possibilité de re-conception globale du scénario pédagogique. Nous décrivons le dispositif mis en place, le déroulement de l’activité, puis analysons ses succès et limites, à partir de nos analyses et des retours des apprenants.

Michelle Deschênes, Mélanie Tremblay

Dans le cadre d’un cours universitaire aux cycles supérieurs, six étudiants en sciences de l’éducation ont coélaboré sur le thème de l'équité numérique en présence et en ligne à l’aide du Knowledge Forum et de Google Drive. À la suite de cette expérience, une question s’est posée : comment maximiser le fonctionnement d’une communauté de coélaboration de connaissances dans un mode de formation hybride afin de favoriser la cocréation de connaissances? Les recommandations qui découlent de cette analyse concernent les différents processus de régulation, les fonctionnalités des outils numériques et les influences mutuelles des contextes de coélaboration. Enfin, deux outils numériques permettant à la communauté d’assurer une régulation partagée seront présentés.

Jean-Marc Meunier

De notre point de vue, l’enseignement en ligne est par essence une activité de collaboration médiatisée, plus encore lorsqu’il s’appuie sur une pédagogie active et met en scène les interactions entre étudiants. Les outils dont disposent les enseignants sont multiples, parfois complexes et s’organisent en système qu’il faut pouvoir analyser pour comprendre une activité tel qu'un débat en ligne. Dans cet article nous proposons l’analyse d’une telle situation dans le cadre de l’approche instrumentale (Lonchamp, 2012; Rabardel et Beguin, 2005; Rabardel, 1995) afin de montrer comment la notion de compétence, telle qu’elle est proposée dans ce cadre, peut permettre de penser l’alignement entre les activités pédagogiques, les compétences visées et l’évaluation de ces dernières.

Stéphanie Fleck, Luc Massou

Mireille Bétrancourt est Professeure en technologies de l’information et processus d’apprentissage à la faculté de Psychologie et des Sciences de l’Education de l’Université de Genève (Suisse), où elle dirige l’unité de Technologies de formation et d’apprentissage (TECFA). L’objet général de ses travaux porte sur la conception des ressources numériques pédagogiques dans une perspective cognitive et ergonomique, et sur les usages des technologies numériques dans différents contextes de formation et d’enseignement. Dans cet entretien, elle souligne l’importance de la congruence technopédagogique des nouvelles interactions sensori-motrices avec les exigences de la tâche d’apprentissage et du contexte scolaire dans lequel elles sont utilisées, afin de mieux en évaluer les apports réels.