Le nombre d’avortements au Québec a continué de chuter en 2021, atteignant un creux historique… sauf chez les femmes de 40 ans et plus. Une réalité qui pourrait dissimuler une facette plus sombre de la difficulté d’accès aux soins, en pleine pandémie.

En 2021, 20 803 femmes ont choisi de mettre fin à leur grossesse, selon les données de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) obtenues par La Presse*. C’est un peu plus de 2000 avortements de moins qu’en 2020, année où, déjà, une forte baisse avait été observée.

Il est à noter que ces données n’incluent que les avortements par instrument facturés par des médecins à la RAMQ. Les avortements par médicament ne sont pas inclus, de même que ceux des femmes sans carte d’assurance maladie.

« Chez nous, en 2020, [le nombre d’interventions] a baissé d’une centaine, et en 2021, encore d’une centaine », confirme Patricia Larue, directrice générale de la Clinique des femmes de l’Outaouais.

Mais si moins de femmes ont demandé les services de la clinique, celles qui l’ont fait étaient plus souffrantes, remarque Mme Larue. « On a remarqué beaucoup plus d’anxiété, de détresse, de violence conjugale, des problématiques de manque de logement, de consommation de substances », déplore la directrice.

On a eu moins d’interventions, mais chacune était plus intense.

Patricia Larue, directrice générale de la Clinique des femmes de l’Outaouais

Une réalité aussi constatée du côté de la Mauricie. « L’état dans lequel certaines femmes arrivaient était différent d’avant la pandémie, affirme Pascale Dupuis, directrice générale du Centre de santé des femmes de Trois-Rivières. Les intervenantes ont senti plus de stress, d’anxiété, de détresse, d’isolement [chez les patientes]. »

Des ruptures de services ?

La chute du nombre d’avortements pratiqués au Québec en 2021 s’explique peut-être par le confinement et le couvre-feu imposés par le gouvernement québécois – et leurs conséquences sur la vie sexuelle des Québécoises, selon plusieurs intervenantes consultées par La Presse.

« Les premiers mois de 2021, on a vu une grande diminution de la demande, se souvient Patricia Larue. La clinique a même dû annuler des journées d’ouverture. Après, ça a repris et ça s’est stabilisé. »

L’accès à la contraception continue aussi de s’améliorer dans la province. « Dans les dernières années, on a vu une mouvance importante pour promouvoir, en premier choix, l’usage des méthodes de contraception à longue action, comme le stérilet ou l’implant, qui auparavant étaient réservées aux femmes qui avaient déjà eu une grossesse », explique la Dre Geneviève Bois, professeure adjointe de clinique à l’Université de Montréal, qui pratique aussi des interruptions volontaires de grossesse. Or, ces méthodes sont nettement plus efficaces pour prévenir les grossesses non désirées.

« Mais ce n’est pas comme si on avait eu un gros changement dans l’accès à la contraception entre 2019 et 2020 [ou 2021] », relève Jess Legault, co-coordonnatrice de la Fédération du Québec pour le planning des naissances.

Donc, est-ce qu’on a eu des bris de services, dans certaines régions, qui pourraient expliquer [la diminution du nombre d’avortements] ?

Jess Legault, co-coordonnatrice de la Fédération du Québec pour le planning des naissances

Une question qui inquiète aussi Louise Langevin, spécialiste du droit à l’autonomie procréative et professeure à l’Université Laval. « Peut-être que [ces données] sont un signe que des femmes qui auraient normalement demandé l’avortement n’y ont pas eu accès », souligne-t-elle.

Un risque réel dans des situations de violence conjugale, par exemple. « Admettons que tu es confinée avec la personne qui t’en fait vivre, comment fais-tu pour téléphoner discrètement, sans que ça ne soit su, pour obtenir un avortement ? », se questionne Pascale Dupuis.

Les femmes de 40 ans et plus, une exception

Les femmes de 40 ans et plus sont le seul groupe d’âge qui n’a pas connu de diminution du nombre d’avortements entre 2020 et 2021. Les interventions ont même légèrement augmenté, passant de 1656 à 1701, selon les données de la RAMQ.

« On sait que l’accès à la contraception s’est amélioré pour les jeunes, mais pas pour les 40 ans, estime Pascale Dupuis. Ce dont tu as besoin, à cet âge, c’est un médecin de famille. Et parfois, l’accès à un médecin de famille est compliqué. »

Autre hypothèse : les femmes de cette tranche d’âge ont, au contraire, déjà un bon accès à la contraception, ce qui expliquerait une variation moins grande dans leurs statistiques, relève la Dre Bois. « Généralement, les femmes dans la trentaine ou la quarantaine ont plus de chances d’avoir accès à un médecin de famille ou à un gynécologue, explique-t-elle. Sans compter qu’on a peut-être plus de difficulté à s’affirmer quand on a 17 ans que 40 ans. »

Une chose est sûre, la pandémie n’a pas touché tout le monde de la même manière : « On sait que la pandémie a affecté les femmes de façon disproportionnée par rapport aux hommes, sur tous les fronts, rappelle Jess Legault. On s’est retrouvé avec des femmes qui s’occupaient de parents, d’enfants, en plus de travailler. Je me demande si ça ne serait pas ça. »

* Pendant la période d’urgence sanitaire, les médecins ont eu 120 jours pour facturer leur acte médical à la RAMQ. La Presse a reçu ces statistiques le 29 avril, soit 119 jours après le début de l’année. « Les données fournies sont donc incomplètes et continueront à fluctuer au fur et à mesure que nous recevrons les factures », précise Caroline Dupont, porte-parole médias pour la RAMQ.

En savoir plus
  • 29 097
    Nombre d’avortements pratiqués au Québec en 2015
    Source : Régie de l’assurance maladie du Québec
    26 141
    Nombre d’avortements pratiqués au Québec en 2019, avant le début de la pandémie
    Source : Régie de l’assurance maladie du Québec