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Les injustices épistémiques en santé – Varia (71/mars 2024)

Numéro coordonné par Olivia Gross, Université Sorbonne Paris Nord, et Baptiste Godrie, Université de Sherbrooke.

Notes de la rédaction

Calendrier

Date limite d’envoi des projets : 31 décembre 2022
Date limite d’envoi de l’article intégral : 31 mars 2023
Date limite de retour des expertises : 30 juin 2023
Date limite d’envoi de l’article définitif : 31 décembre 2023
Parution : mars 2024

Vous pouvez adresser un projet d’article aux deux coordonnateurs (olivia.gross@univ-paris13.fr ; baptiste.godrie@usherbrooke.ca) de ce dossier thématique avant le 31 décembre 2022 (3 pages, soit 10 000 signes environ avec les cadrages scientifiques habituels).

Après accord de principe, toute contribution devra ensuite être présentée en respectant les normes de la revue (soumettre une contribution : https://edso.revues.org/395 et les recommandations aux auteurs : https://edso.revues.org/624) puis, après accord des coordonnateurs, sera soumise à double expertise “en aveugle” selon les normes de la communauté.

Argumentaire

Plusieurs travaux contemporains, à la croisée de l’éthique et de la philosophie, ouvrent de nouvelles pistes de compréhension des inégalités et des injustices nourries sous l’angle de la prise en compte de la parole et des savoirs des personnes (Fricker, 2007 ; Dotson, 2011 ; Kidd, Medina et Pohlhaus, 2019). Ces travaux ont en commun de conceptualiser les rapports d’oppression qui conduisent à dénier à un tiers la possibilité de se constituer en sujet épistémique à part entière en raison de discriminations et de préjugés liés à l’âge, au genre, à l’identité de genre, à l’orientation sexuelle ou encore à une origine socioculturelle. Dans une conceptualisation désormais classique et souvent mise à contribution comme cadre analytique des injustices épistémiques, M. Fricker (2007) distingue les injustices épistémiques testimoniales des injustices herméneutiques. Les premières se manifestent lorsque les membres des groupes sociaux marginalisés ne sont pas considérés comme des interlocuteurs crédibles en raison de préjugés défavorables, par exemple, l’idée que les femmes seraient moins rationnelles et plus émotives. Les secondes renvoient quant à elles à des situations dans lesquelles les membres de groupes sociaux marginalisés ne disposent pas des ressources cognitives pour interpréter et mettre en mot leur propre expérience parce que leur expérience ne s’inscrit pas dans les théories dominantes. Plusieurs autres conceptualisations ont permis d’approfondir la compréhension de ces injustices épistémique. K. Dotson (2011) a notamment proposé une analyse des mécanismes de « silenciation » (silencing) de la parole des femmes en tant que violence épistémique. Et N. Berenstain parle d’ « exploitation épistémique » pour désigner le travail d’explication que les personnes vivant des injustices épistémiques sont contraintes de fournir, souvent en vain, à des personnes qui ne les vivent pas afin de les sensibiliser aux conséquences négatives que celles-ci ont sur leur vie (Berenstain, 2016).

Depuis peu, ces différents types d’injustice ont été repérés dans les milieux de soins et d’accompagnement social ou médico-social. Si on retrouve ces mêmes injustices entre professionnels, à partir de considérations hiérarchiques, les patients et les personnes accompagnées sont particulièrement les cibles de ces injustices (Crichton, Carel et Kidd, 2017). Là où n’étaient vus traditionnellement que des problèmes de communication (Kidd, Carel et 2014), l’analyse sous l’angle des injustices épistémiques révèle en effet l’omniprésence d’injustices tant testimoniales qu’herméneutiques. Ainsi, les plaintes des femmes sont moins entendues que celles des hommes, les personnes ayant des troubles psychiatriques ont une parole particulièrement discréditée (Dubin et al., 2017) et l’ensemble des patients sont interrompus après 23 secondes en moyenne (Marvel et al., 1999). Il en découle que ces personnes échouent à se faire entendre, avec pour conséquences que leurs valeurs, leurs attentes, sont peu prises en compte dans les propositions de soins qui les concernent. Et c’est ainsi que les personnes finissent par se soumettre à des cadres interprétatifs ou à des normes conçus pour elles, sans elles, par difficulté à faire émerger ou reconnaître leurs normes propres, quand bien même elles ne se reconnaissent pas toujours dans ceux produits indépendamment d’elles. Soit parce qu’une même norme ne peut s’appliquer à tout le monde, soit parce que les normes biomédicales, notamment dans la recherche, en se focalisant sur l’objectivation et le positivisme, trahissent les valeurs des patients. C’est le cas, par exemple, quand une échelle de qualité de vie échoue à rendre compte de ce qui importe le plus pour les personnes. De plus, ces injustices se manifestent par des comportements inadaptés qui impactent la relation de soins ou d’accompagnement. Pour exemple, les personnes en situation d’obésité sont d’emblée estimées paresseuses, sans volonté (Puhl et Heuer, 2009) et ce qu’elles peuvent en dire n’est souvent pas entendu. Ainsi, les relations épistémiques entre patients et professionnels de santé, entre personnes accompagnées et professionnels de l’accompagnement, entre gestionnaires et usagers, ne sont pas qu’asymétriques : elles produisent des injustices qui résultent de processus de silenciation.

Une partie croissante de la littérature est consacrée à ces injustices dans le champ de la santé. Certains les étudient auprès de malades dont les troubles sont peu reconnus, voire dont l’existence est mise en doute (Blease, Carel et Geraghty, 2017 ; Byrne, 2020) d’autres plaident pour inclure des patients dans les taxinomies, nosologies (Gauld, 2021) ou encore y adossent leurs théories d’intervention (Gross et Gagnayre, 2021). Or, ces enjeux sont traités en philosophie et en éthique, à l’occasion pour ce qui concerne les préjugés dans la littérature médicale, mais insuffisamment par les sciences de l’éducation (et de manière plus générale par les sciences sociales), alors que ces dernières interrogent la capacité à reconnaitre la valeur des savoirs d’autrui et les accompagnements nécessaires pour favoriser leur montée en légitimité.

Cet appel à textes vise à comprendre ce que la théorisation des injustices épistémiques peut apporter au champ de la santé compris ici au sens large incluant les interventions psychosociales. Il vise à susciter des propositions orientées par des intentions résolutives, mais également par des visées de caractérisation, considérant que réduire les injustices épistémiques passe par les mettre en lumière et les faire reconnaître afin qu’elles soient mises à l’agenda de la lutte contre les inégalités sociales.

Sont particulièrement bienvenues les propositions d’articles contribuant à des développements du cadre conceptuel, combinant réflexion théorique sur la notion d’injustices épistémiques et terrain empirique, qui en interrogent l’apport aux pratiques de santé et qui questionnent la pertinence scientifique, sociale et politique de ce cadrage analytique dans le domaine de la santé.

AXE 1 IDENTIFICATION, CARACTERISATION DES INJUSTICES ÉPISTÉMIQUES EN SANTÉ

Les injustices épistémiques se manifestent par différents canaux. Il s’agit en premier lieu de les repérer, ce qui suggère d’examiner finement les liens entre les injustices épistémiques et autres types d’injustices afin d’en comprendre les conséquences sur la santé et, plus généralement, le bien-être des personnes soignées et soignantes. On pourra aussi interroger quelles situations sont particulièrement propices à leur production et le point de vue des personnes qui sont touchées par ces injustices ou qui contribuent à leur existence. Les textes proposés dans le cadre de cet axe identifieront les groupes stigmatisés et les injustices épistémiques qui les concernent. Ils relèveront, par exemple, les pathologisations excessives, les stigmatisations ordinaires - en particulier discursives - et permettront de caractériser les écarts mentionnés à partir d’études de cas. Il sera également possible de visiter l’épistémologie des nosologies et concepts en santé à l’aune des injustices épistémiques. Une histoire de leur production et de leur réception reste en effet à écrire, tant au niveau des stigmates (Plumauzille et Rossigneux-Méheust, 2014) que des injustices épistémiques. Enfin, la notion de privilège épistémique pourra faire l’objet d’une analyse contextualisée au champ de la santé.

AXE 2 ENJEUX ETHIQUES, MÉTHODOLOGIQUES ET ÉPISTÉMOLOGIQUES DES RECHERCHES AU REGARD DES INJUSTICES ÉPISTÉMIQUES

Qu’est-ce que les savoirs, la perspective des personnes minorisées peuvent apporter aux connaissances produites dans le champ de la santé ? Quels sont les enjeux éthiques, méthodologiques et épistémologiques des recherches au regard des injustices épistémiques ? Nous nous intéresserons ici aux entreprises participatives visant à réduire les exploitations épistémiques (Berenstain, 2016) caractérisées par un travail épistémique non reconnu, non compensé, émotionnellement éprouvant, en tout ou partie contraint. Telle, notamment, la participation à des recherches centrées sur les questions des groupes institués qui vont utiliser les résultats pour plus de catégorisations, plus d’approches objectivantes, et donc plus d’oppressions. Répondre à ces enjeux convoque des approches de co-production des savoirs sur les plans normatif ou descriptif, c’est-à-dire, soit pour produire de nouvelles normes, soit pour comprendre, décrire l’existant, de manière collégiale (Hemström, Simon, Palmer et Polk, 2021). Les propositions pourront ainsi analyser des méthodes pour développer l’humilité épistémique (Wadrope, 2015), limiter les préjudices de participation (Fraser, 1992) et soutenir une réflexivité permanente de manière à exercer une vigilance susceptible de limiter les rapports de domination et d’extractivisme abusif des savoirs (Godrie et al., 2020 ; Godrie, 2021). Les écarts entre les théories dominantes et les expériences rapportées par les personnes concernées peuvent aussi être vues comme traduisant des injustices épistémiques dès lors que les expériences vécues ne sont pas considérées, car elles interrogent les théories dominantes. Les propositions pourront donc porter sur le développement de ces approches et méthodologies dans le champ de la santé.

AXE 3 STRATÉGIES OU MÉCANISMES DE RÉDUCTION DES INJUSTICES ÉPISTÉMIQUES

Cet axe est destiné aux propositions rapportant des pratiques, interventions et stratégies de résistance aux injustices épistémiques initiées par des individus ou des groupes dans et hors des institutions de santé. En effet, il est possible de considérer que là où il y a des déterminants et du pouvoir, il y a aussi des stratégies de résistance épistémique (Medina, 2012). Ces stratégies pourront émaner de groupes sociaux : d’associations d’étudiants en santé ou d’associations de malades ou de personnes accompagnées, et de leurs proches (Godrie et Rivet, 2020). Ou encore des interventions en santé concernant les étudiants en santé. Elles pourront également s’inscrire dans la diversité des pratiques d’éducation en santé dès lors que celles-ci participent à plus de justice épistémique et à des prises de conscience émancipatrices. Il pourra également être question de stratégies organisationnelles, comme celles suggérées par B. Bogaert (2021). Pourront ainsi être traitées les interventions visant à crédibiliser les propositions épistémiques des patients ou des personnes accompagnées et à leur épargner une « exploitation épistémique » telle que définie ci-dessus. Enfin, les rapports épistémiques interprofessionnels pourront aussi être considérés, ceux-ci n’étant pas non plus exempts de rapports de domination épistémique et de préjugés (Sebbane, 2015).

Bibliographie indicative

Berenstain, N. (2016). Epistemic Exploitation. Journal of Philosophy, 22, 569-590. http://dx.doi.org/10.3998/ergo.12405314.0003.022

Blease C., Carel, H. et Geraghty, K. (2017). Epistemic injustice in healthcare encounters: evidence from chronic fatigue syndrome. Journal of Medical Ethics, 43, 549-557.

Bogaert, B. (2021). L’application du concept d’injustice épistémique dans le soin : conceptualisation, limites et perspectives. Éthique et Santé, 18, 127-133.

Byrne, E.A. (2020). Striking the balance with epistemic injustice in healthcare: the case of chronic fatigue syndrome/myalgic encephalomyelitis. Med Health Care Philos, 23(3), 371-379. doi: 10.1007/s11019-020-09945-4.

Carel, H. et Kidd, I.J. (2014). Epistemic injustice in healthcare: a philosophial analysis. Med Health Care Philos, 17, 529–40.

Dotson, K. (2011). Tracking Epistemic Violence, Tracking Practices of Silencing. Hypatia, 26(2), 236–257.

Dubin, R.E., Kaplan, A., Graves, L., et Ng, V. K. (2017). Reconnaître la stigmatisation : sa présence dans les soins aux patients et dans la formation médicale. Canadian family physician Médecin de famille canadien, 63(12), 913–915.

Fraser, N. (1992). Rethinking the Public Sphere. A Contribution to the Critique of Actually Existing Democracy, in Habermas and the Public Sphere, Cambridge: MIT Press

Fricker, M. (2007). Epistemic Injustice: Power and the Ethics of Knowing, Oxford: Oxford University Press.

Godrie, B. et Rivet, C. (2020) Injustices épistémiques et réduction identitaire : ce que l’entraide en santé mentale fait à l’identité de malade, Corps, 18(1), 129-140.

Godrie, B, Boucher, M, Bissonnette, S, Chaput, P, Flores, J, Dupéré, S, Gélineau, L, Piron, F et Bandini, A. (2020). Epistemic injustices and participatory research: A research agenda at the crossroads of university and community. Gateways: International Journal of Community Research and Engagement, 13:1, Article ID 6703. http:dx.doi.org/10.5130/ ijcre.v13i1.6703

Godrie, B. (2021/2) Extractivisme des savoirs expérientiels et intégration des usagers. Une analyse critique à la lumière du modèle écologique des savoirs dans le champ de la santé mentale, Participations, 30(2), 249-273. DOI : 10.3917/parti.030.0249.

Gross, O. et Gagnayre, R. (2021). Diminuer les injustices épistémiques au moyen d’enseignements par et avec les patients : l’expérience pragmatiste de la faculté de médecine de Bobigny. Canadian Journal of Bioethics/Revue canadienne de bioéthique, 4(1), 70–78. https://doi.org/10.7202/1077628ar

Hemström, K., Simon, D., Palmer, H. et Polk, M. (2021). Transdiciplinary Knowledge Co-production: a guide for sustainable cities. Practical Action Publishing.

Kidd, I.J., Medina, J. et Polhaus, G. (2017). The Routledge Handbook of Epistemic Justice. Routledge.

Marvel, K., Epstein, R. Flowers, K. et Beckman, H. (1999). Soliciting the Patient’s Agenda, have we improved? JAMA, p. 283-287

Newbigging, K. et Ridley, J. (2018). Epistemic struggles: The role of advocacy in promoting epistemic justice and rights in mental health, Social Science & Medicine, 219, 36-44.

Nicolle, B. et Gauld, C. (2021). Le concept d’injustice épistémique en psychiatrie : quels apports, de la clinique à la classification des troubles ? Ann Med Psychol https://doi.org/10.1016/j.amp.2020.12.023

Plumauzille, C. et Rossigneux-Méheust, M. (2014). Le stigmate ou « La différence comme catégorie utile d'analyse historique ». Hypothèses, 17, 215-228. https://doi.org/10.3917/hyp.131.0215

Puhl, R.M. et Heuer, C.A. (2009). The Stigma of Obesity: A Review and Update. Obesity, 17(5), 941‑64.

Sebbane, D. (2015). Les internes de psychiatrie vus par leurs confrères : jugés de près mais préjugés… L'Information Psychiatrique, 91(5), 417-426.

Wadrope, A. (2015). Medicalization and epistemic injustice. Med Health Care Philos. 18, 341-352.

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